Préambule au projet pédagogique 2024 de la prévention spécialisée
Les équipes de prévention spécialisée devront faire face à des contextes locaux et sociaux tendus, comme l’illustre la succession d’événements de 2023, des règlements de compte liés aux concurrences entre réseaux de stupéfiants aux émeutes urbaines de la fin juin. Les alertes qu’elles avaient encore renforcées au sortir des confinements de 2020 s’avèrent malheureusement justifiées, qui plus est sur fond de situation économique incertaine avec le retour d’une inflation qui impacte le quotidien des ménages. Nous constatons en outre des problèmes de logement de plus en plus prégnants - insalubrité, squats et difficultés à se reloger dans un parc social largement saturé, notamment à Marseille.
Ces constats sont largement partagés par l’ensemble des partenaires, opérationnels comme institutionnels. Pour autant, et malgré des efforts visibles, il reste malaisé de distinguer une ligne harmonisée en matière de politiques publiques, nationales et locales. Les dispositifs mis en place ne sont pas toujours pérennes et à l’approche des échéances fixées, le manque d’information entrave fortement pilotage et communication internes (Bataillons de la prévention, Stratégie de lutte contre la pauvreté, etc.). Lorsque des stratégies s’élaborent, comme nous l’avons vécu dans les 13ᵉ et 14ᵉ arrondissements suite à des violences très marquantes, elles ne sont pas systématiquement assorties de projections coordonnées sur le long terme, à la fois avec les représentants institutionnels et les acteurs locaux. Pourtant, seul un travail de cette nature peut produire des changements, redonner un réel espoir aux résidents et réassurer les intervenants de première ligne que sont nos équipes éducatives de prévention spécialisée.
Pour autant, sur le terrain, les équipes éducatives continuent de s’adapter et de proposer des réponses élaborées au cas par cas, aux personnes et aux quartiers, en se saisissant des potentialités qu’elles identifient pour pallier les manques et insuffler des dynamiques positives. Elles s’appuieront notamment sur la forte demande d’animations et de lien social des habitants, désireux de vivre des moments positifs dans leurs territoires de vie. Sur la base de liens de confiance réciproques, elles valoriseront des habitants ressources. Cette dimension collective de l’action vise à retisser des espaces/temps de cohésion sociale, mais aussi à renforcer les dynamiques partenariales (éducation populaire et associations locales), resserrer les liens éducatifs et repérer des vulnérabilités. Dans ce cadre, les interventions en horaires décalés des Urban sport truck, à Marseille (Prévention par le sport) et Etang de Berre resteront des séquences privilégiées de présence sociale. Événements sur sites avec une visée de développement social local, travail avec des groupes préexistants et sorties et mini-séjours avec des groupes constitués par les équipes resteront partout des supports pertinents pour ouvrir sur le monde et socialiser les jeunes. Les Jeux olympiques 2024 fourniront des supports particulièrement bienvenus.
Les actions collectives seront d’autant plus investies qu’elles représentent des opportunités de rencontrer des jeunes, alors même que la désertification d’un nombre croissant d’espaces publics réduit quelquefois l’intérêt du travail de rue à cet égard. Les habitudes imposées au moment des confinements ont eu tendance à s’installer avec l’extension des réseaux de trafics qui entraîne une peur généralisée et des interdictions faites aux enfants et adolescents d’aller jouer dehors.
Les équipes éducatives seront en grande vigilance sur les phénomènes prostitutionnels concernant des mineurs car elles en observent une augmentation assortie de modalités nouvelles, reposant souvent sur les réseaux sociaux. De même, elles seront attentives aux questions numériques, en termes de fracture qui creuse l’exclusion sociale, mais aussi d’usages inappropriés qui placent des jeunes en situation difficile et/ou les isolent. Des partenariats devront se faire jour sur ces questions, en fonction des possibilités locales.
Nous encouragerons fortement la dynamique qui se fait jour sur plusieurs services autour de projets d’envergure et/ou d’attention quotidienne en matière d’écologie : jardins partagés, Api culture, plantations, recyclage, éducation au VTT, éco sensibilisation au Frioul… Nous encouragerons également les projets autour de l’émancipation des femmes, la constitution de paroles libres et d’actions, mixtes ou non, faisant avancer les jeunes et leurs familles vers la nécessaire égalité et la prise de conscience du caractère déplacé de certains comportements. Enfin, des dynamiques participatives seront mises en œuvre : association de jeunes et de familles à des bilans et des projets, soutien des initiatives des habitants. Cet ensemble n’est disparate qu’en apparence, car il dit le souci des équipes éducatives « d’accrocher »les quartiers aux enjeux qui traversent la société et qui, pour être complexes, ne sont pas moins indispensables à l’éducation des citoyens de demain qu’ils ont la charge d’accompagner.
Nous continuerons partout à investir massivement en 2024 le volet le plus préventif de nos axes de travail en soutenant les collégiens et en préparant le passage du CM2 à la 6ᵉ. Le partenariat avec l’Éducation Nationale est à présent majoritairement de qualité et les résultats valident notre investissement, en termes d’apaisement, d’orientations acceptées et de maintiens dans le cursus scolaire.
Pour autant, il nous faudra veiller en 2024 à l’équilibre de la pyramide des âges du public, en veillant à accompagner et orienter des plus de 16 ans sans projet ni qualification. Ce public, d’un abord parfois difficile et souvent très démotivé, est en outre quelquefois peu visible, replié sur soi et sur les réseaux sociaux qui renforcent les spirales de désocialisation. Nous serons attentifs à soutenir notamment les équipes éducatives jeunes pour trouver des moyens d’entrer en lien avec cette partie de la jeunesse qui nous échappe. Les équipes s’attacheront à orienter vers le CEJR qui laisse la place à des co-accompagnements et permet des parcours souples vers l’insertion socioprofessionnelle.
Et ce d’autant plus que nous rencontrons un certain nombre de difficultés pour monter des chantiers
éducatifs, outil pourtant particulièrement adapté pour mobiliser ces jeunes. La baisse des financements de la politique de la ville et un contexte réglementaire en pleine redéfinition font obstacle aux projections et à la stabilité dont nous avons bénéficié pendant longtemps. L’enjeu pour la prévention spécialisée est bien de pouvoir conserver des chantiers éducatifs en tant que supports des accompagnements éducatifs, notamment de jeunes avec lesquels les dispositifs de bas seuil échouent. Nous actionnerons tous les leviers disponibles en ce sens, tant au niveau local qu’en synergie avec le réseau national (CNLAPS).
L’engagement des équipes éducatives et de leurs encadrements pour intégrer les renforts issus des Bataillons de la prévention (prévention spécialisée et médiation sociale), doit être salué, d’autant qu’il n’y a pas d’assurance de pérennisation de ces postes : les résultats sont au rendez-vous, en termes de service rendu aux populations et aux territoires. Présence sociale, diagnostics, territoires nouveaux en grande difficulté sociale, complémentarités entre les métiers, l’expérimentation est positive et nous mettrons tout en œuvre pour sa prolongation, si ce n’est sa pérennisation.
Pour ce faire, il est indispensable de pouvoir s’appuyer sur la qualité et la spécificité de l’expertise de la prévention spécialisée. C’est pourquoi il faudra rester partout mobilisé sur les notes d’observation sociale, les diagnostics partagés et dits « en marchant » et le logiciel Traject (en exploitant ses potentialités en matière d’analyse et d’impact territorial) pour faire reconnaître notre capacité à recenser et donner sens à des signaux faibles qui ne le sont qu’en apparence et peuvent utilement alimenter les décideurs institutionnels. En parallèle, l’implication dans le réseau national sera poursuivie, car elle confère des éclairages de compréhension des politiques publiques qui permettent également de décoder des enjeux locaux.