Au Népal, ni contrôle ni perspectives
Nous sommes implantés à Katmandou depuis 8 ans. Notre travail de rue est peu, voire pas du tout, organisé.
- J’entends qu’en France vous avez des difficultés avec les politiques mises en place en terme de coordination, etc. Au Népal ce serait plutôt l’inverse.
- Nous ne sommes pas adossés à des politiques sociales.
Nous dépendons des ONG et il y en a plus de 16 000…, ce qui induit une grande confusion. - Quand je vois les systèmes mis en place ailleurs, je comprends qu’il y a beaucoup de cases, de catégories, etc. mais nous sans aucun système, vivons aussi une situation compliquée.
- Bien sûr nous ne faisons pas n’importe quoi.
Mais pour le dire ainsi, nous sommes dans une perpétuelle innovation, puisque nous ne savons ni à qui en référer ni vers qui orienter.
Les enfants des rues
Il faut se garder de caricaturer cette question, car elle complexe.
- On peut dire par exemple avec raison que ces enfants sont abandonnés, affamés, etc., mais cela ne recouvre pas toute leur réalité.
- Car dans le quotidien de ces enfants il y a aussi une part de liberté.
Ils vivent avec leurs amis et forment une microsociété : c’est vrai que la colle y circule , mais vrai également que s’y organisent des fêtes.
- De même la pauvreté n’est pas le seul facteur qui produit des enfants des rues : derrière chaque enfant il y a des vies et des personnes.
Ce qui est certain c’est que, à un moment donné, cet enfant-là est parti.
Mais il s’agit d’histoires individuelles.
Il faut avoir en tête que la grande majorité d’entre eux ont une famille : on estime entre 3 et 4 % la proportion d’orphelins parmi eux.
La grande ville attire et comme on construit de plus de plus de routes arrivant jusqu’à la capitale, de plus en plus de gens vont y venir.
Ils vivront dans des bidonvilles ou dans la rue et il y aura donc encore plus d’enfants des rues.
Notre intervention auprès de ces enfants
Nous avons fait un film pour informer les familles sur les dangers que peuvent rencontrer les enfants dans les rues.
Il projette un film d’une dizaine de minutes où l’on voit des enfants dans différentes situations : violentés par la police, en train de fouiller des décharges de poubelle, de sniffer, de dormir dans la rue. Evoque également le danger de prostitution.
Nous intervenons auprès d’enfants et de jeunes de 5 à 25 ans.
Nous ne pouvons pas fixer d’âge précis et nous y tenir rigoureusement.
Nous travaillons plutôt avec les enfants privés de soutien familial.
- Beaucoup d’entre eux vivent en bandes, en gangs. Il nous faut être admis dans leur société.
S’ils ont fait déjà un pas en dehors de la rue, nous pouvons les aider dans ce projet.
- Il faut être très attentifs à ce que l’on met en place, et notamment quand il s’agit du retour vers leurs familles.
- Un des écueils pour eux est de revenir sans argent par ex, c’est vécu comme un gros échec : il faut les aider à le dépasser avant d’envisager un retour.
Si on ramène l’enfant trop tôt, il est de retour à Katmandou avant le travailleur social, et en plus il a entraîné des amis avec lui…
- Nous travaillons plutôt sur le volet de la réduction des risques : leur donner les outils qui leur permettront d’être socialement acceptable.
Parce que l’on sait que 70 % d’entre eux resteront dans la rue.
- Mais nous sommes aussi parfois confrontés à des situations très graves : des enfants sont malades, quelquefois même mourants.
Prévention spécialisée en France et travail de rue au Népal
Quel parallèle peut-on faire entre vos principes fondateurs et la réalité de notre propre travail auprès des enfants des rues ?
Libre adhésion
- Nous travaillons en accord avec ce principe dans la mesure où nous cherchons à créer de la dynamique avec l’enfant.
Le ramener de force dans sa famille ou le forcer à nous rencontrer ne sert absolument à rien. Les enfants s’en vont.
Non mandat
La comparaison est plus difficile à établir sur ce point, mais nous ne sommes mandatés par personne !!
Il y a 8 ans nous nous occupions de 12 enfants, aujourd’hui ils sont environ 1 200 mais nous ne sommes pas plus mandatés qu’il y a 8 ans.
Confidentialité
La notion de secret professionnel n’existe pas.
Nos centres ressortissent à l’organisation des orphelinats (children homes) : dans ce cadre, il y a d’autres règles. Par exemple nous ne devons pas utiliser le visage des enfants. Nous l’avons expliqué aux enfants qui ont tourné pour le film d’information que je vous ai montré tout à l’heure.
Nous sommes jugés responsables des enfants : par ex on nous réclame souvent de l’argent pour des dégâts qu’ils ont commis.
Caractère institutionnel
Là aussi la comparaison est difficile.
Par exemple nos centres sont protégés par des services de sécurité : c’est compliqué pour les enfants. Mais c’est une manière d’éviter les armes et les bagarres trop graves à l’intérieur.
Le moteur de ce travail c’est l’humain, la passion, le respect bien sûr.
Mais nous sommes prêts à prendre un peu d’autres pratiques : le monde n’est pas si grand.