Les Valeurs et l’Education
J’avais 22 ans quand un ami m’a invité en Afrique de l’Ouest.
J’ai traversé la France, l’Espagne, le Maroc, l’Algérie, le désert, en camion ; je suis arrivé au Nigéria et puis j’ai visité le Burkina Fasso, la Côte d’Ivoire, le Liberia, et Sierra Leone.
Je me suis rendu compte que j’étais capable de faire des choses étonnantes.
Et donc les autres jeunes aussi.
Mais surtout j’ai compris que les valeurs sont les choses auxquelles nous tenons et qu’elles viennent de notre culture, même si nous ne nous en rendons pas toujours compte.
L’éducation est étroitement liée aux valeurs car elle permet d’interroger justement sa propre culture pour faire le tri entre les valeurs que l’on veut conserver et celles que l’on décide d’abandonner.
C’est pourquoi le projet multiculturel est si important : il aide à faire comprendre sa propre culture et mettre en relief préjugés et valeurs cachés.
Récemment dans les montagnes de la région des Lacs au nord-ouest de l’Angleterre j’ai participé à un marathon qui a dû finalement être annulé le samedi après-midi à cause d’une tempête.
- Les médias ont dit qu’il y avait plus de 1 700 concurrents introuvables et que « les montagnes étaient presque devenues une morgue ». En réalité l’épreuve devant durer 2 jours, les concurrents avaient une tente et de la nourriture pour tout le week-end.
- Le week-end d’après, intervenant dans une conférence sur le futur du travail social, j’ai dit que notre culture du risque influençait nos mentalités de manière négative.
Si on ne parvient pas à me trouver, d’entrée on pense qu’il y a un problème : alors que ce n’est pas forcément le cas.
- De la même façon il semble que penser aux jeune revient toujours à penser qu’ils sont « vulnérables » et qu’on doit les protéger.
Et pourtant l’autonomie est aussi une valeur importante. - Protection et autonomie sont les deux faces d’une même médaille entre lesquelles on ne peut pas réellement choisir.
Si vous choisissez la protection vous limiterez l’autonomie, et si vous choisissez l’autonomie, vous risquez d’oublier vos responsabilités en matière de protection. Il y a là un dilemme… et un vrai risque.
L’objectif de l’éducation c’est de faire un bon voyage, en s’appuyant sur des personnes, et sur les études et l’expérience.
Il y a des risques mais nous avons la capacité de nous débrouiller et risque n’a pas toujours un sens négatif mais signifie aussi chance, possibilité.
Pour revenir à l’anecdote du marathon, être introuvable n’est pas forcément synonyme de danger.
De même en travail de rue on regarde la rue comme un espace plein de possibilités.
Il y a souvent des problèmes, c’est vrai, mais aussi du positif.
Valeurs et travail social
Nous sommes des travailleurs sociaux et nous travaillons dans un espace public parce que nous croyons que le social est aussi un concept moral, éthique, politique, en un mot un concept démocratique.
Quand la nuit tombe, la ville devient un endroit d’incertitude.
Métros et bus sont pleins de gens qui se pressent de rentrer chez eux parce que cette incertitude les inquiète.
Et on voit des jeunes qui y arrivent, justement parque cette incertitude les attire, qu’elle est précieuse pour eux.
Pour pouvoir travailler avec eux, il faut que cette incertitude soit précieuse pour nous aussi.
En entendant ce que disent nos collègues, et notamment ceux de l’hémisphère sud, nous voyons combien il est important de traiter les jeunes comme des êtres humais et de protéger leurs droits.
Il n’est que trop fréquent de les voir considérés comme des problèmes plutôt que comme des êtres humains.
Les mots, porteurs de sens, véhiculent les valeurs.
Et je trouve que la langue française possède une affinité particulière avec les valeurs du travail de rue.
- Par exemple j’aime le mot animateur
L’Anglais a seulement l’expression « youth worker », quelqu’un qui travaille avec les jeunes.
Alors qu’animateur est un très beau mot, animer c’est vivre.
- J’aime également le mot accompagner :
en Anglais nous disons « going with », qui décrit le fait d’aller avec.
Alors qu’accompagner suppose qu’on va s’engager avec quelqu’un.
- Enfin le concept de proximité est mon préféré car il porte en lui une dimension très humaine et politique.
J’espère que mes traductions sont bonnes et si jamais je me trompe ne me corrigez pas.
Les valeurs sont aussi des rêves et des croyances qu’il n’est pas nécessaire de prouver.
Travail social et posture professionnelle
En Angleterre comme ici, il y a actuellement un grand débat sur la professionnalisation.
Ce processus met en place des systèmes, de la bureaucratie et j’ai peur qu’il soit contraire à beaucoup des valeurs dont je vous ai parlé.
- Nous ne devons pas courir le risque de devenir des « messieurs je sais tout ».
Le vrai professionnel du travail de rue doit avoir une attitude semi-professionnelle car il tient tenir compte de la connaissance et de l’expérience des gens avec qui il travaille.
Nous essayons de construire sur ces connaissances acquises sur le terrain, il nous faut donc les apprécier.
- Le travail de rue ne s’inscrit pas dans un système pyramidal classique où tout vient d’en haut.
Nous, nous allons du bas vers le haut.
- Ce qui ne veut pas dire pour autant que notre travail n’est pas professionnel.
Au contraire, nous sommes exactement le genre de professionnels dont l’homme moderne a besoin et nous méritons une reconnaissance plus grande que celle qui nous est offerte aujourd’hui.
Et il en est de même pour les jeunes avec lesquels nous travaillons.