Entretien avec Mme Duru-Bellat, sociologue
L’orientation scolaire est loin de l’idéal méritocratique… ne serait-ce qu’en raison de disparités géographiques…
- L’appareil éducatif tend à produire ce dont on a besoin sur place : 60% des 19/25 ans scolarisés dans les zones tertiaires urbaines et 33 % seulement font des études supérieures en zones rurales.
En 2007 votre rapport au Haut Conseil de l’éducation montrait que l’origine sociale pèse fortement sur le destin scolaire. Comment ?
- « Le premier critère d’orientation est la réussite scolaire » : or 9 ans après l’entrée en 6° 80% des enfants d’enseignants ou de cadres ont leur bac, contre 37% des enfants d’ouvriers.
- Et même à résultats identiques, les enfants ne sont pas égaux : les parents cherchent leur à assurer un statut social au moins équivalent au leur.
Les niveaux de départ n’étant pas les mêmes, les niveaux visés sont différents aussi : « mécanisme d’auto sélection scolaire »
Le sexe est aussi un facteur déterminant…
- Les filles réussissent mieux leur scolarité mais elles sont 20% de moins que les garçons à choisir la filière d’excellence S.
- Rationnel pour elles et leur famille de ne pas choisir d’études longues dont elle ne retireront pas les bénéfices à cause des charges familiales à venir.
- Mais ça bouge : l’informatique en est un ex.
Les établissements scolaires possèdent leurs « tonalités sociales ». Quelle influence sur l’orientation ?
- Une « sorte de culture interne » : selon l’origine socio-économique des élèves se créent des cercles vertueux ou vicieux en terme d’attente de résultats.
- Argument pour défendre la mixité sociale, mais cela justifie aussi les stratégies parentales de choix des établissements les « meilleurs ».
Le système de notation est-il équitable ?
- En théorie il est exact mais « en réalité biaisé »
- Pour ne pas décourager les élèves, on tirera les notes vers le haut et à l’inverse vers le bas pour ne pas les démobiliser. Ces notes autour de la moyenne recouvrent des acquis très différents.
- Cette moindre sélection au niveau du collège rend les élèves plus vulnérables au lycée.
- Des « évaluations standardisées nationales » permettraient de mesurer les écarts.
Le dispositif d’orientation est largement biaisé…
- « Tâche impossible (…) écart par rapport à l’objectif initial d’aller vers société plus juste et plus mobile ».
- On dit aux jeunes qu’ils choisiront mais « il s’agit bien de remplir les places disponibles ».
- L’offre scolaire est déterminante et l’orientation vise à la reproduction de la société.
Mais on continue de faire comme si la réussite scolaire n’était due qu’au seul mérite individuel…
- « Quel pays pourrait afficher la reproduction des inégalités sociales comme principe de base de son système éducatif ? » : l’idéal des sociétés démocratiques c’est la méritocratie.
- Toujours un écart entre valeurs et pratiques : « encore faut-il qu’il ne devienne pas trop important ».
- On est dans une logique de culpabilisation des individus mais nous avons besoin de croire au mérite : sinon pourquoi se mobiliser ?
- Il faut faire cohabiter ce mérite avec des principes de justice : travailler à compenser l’injustice sociale, même si on ne la supprime pas.
La volonté politique d’amener 80% d’une classe d’âge au bas a-t-elle changé quelque chose ?
- Prolonger la scolarité est en soi une bonne chose.
- Mais cet objectif s’est accompagné du développement du bac pro : 85% des enfants de cadres sortent d’une série générale et 50% des enfants d’ouvriers d’une série technologique ou professionnelle…
- Tant qu’on ne rattrapera pas les difficultés en primaire et que l’orientation se fondera sur des critère scolaires « le tri entre les bacs se fera tout seul, par la logique même de l’orientation »
Le mérite contre la justice – Ed. Presses de Sciences Po – 2009 - 12,00 €
- Sommaire en ligne sur le site de l’éditeur