Entretien avec M. Lafore, Pdt du conseil de prospective de l’UNIOPSS
L’alarmisme suscité par les réformes est-il justifié ?
- Oui même s’il est parfois excessif, face à un « réformisme exacerbé » dont on retient surtout un alourdissement des sujétions et des procédures.
Elles semblent menées sans vision globale…
- C’est vrai mais il y a des mouvements qui échappent aux acteurs (de la réforme et de terrain) et l’action sociale est prise dans ces mutations.
Quel en est le sens ?
- A la fin des années 1970 protection sociale et système assitanciel atteignent une plénitude : à chaque « inadaptation » sa catégorie avec accueil par des professionnels spécialisés (financement d’établissements)
- Modèle vertical remis en cause dans les années 80-90. : moins de ressources (contrôles) et des publics nouveaux qui ne parviennent plus à entrer sur le marché du travail.
- On développe l’insertion : RMI puis dans la lutte contre les exclusions, la protection de l’enfance….
- l’idée étant d’engager les usagers dans une dynamique les faisant accéder au droit commun.
- « Projet de vie », « contrat »…. : offre de service en réseau... les structures doivent s’adapter à l’individu : inversion de la logique.
Comment les associations ont-elles participé à la structuration du secteur social ?
- XIX°, début XX°, la puissance publique a laissé la société civile s’occuper de l’indigence… ; elle marchandera le maintien des œuvres, puis des associations contre un certain contrôle.
- Activités encadrées par les autorités, valeurs et finalités laissées à la société civile, ce compromis a fait que les associations ne sont pas devenues des services publics.
- Ensuite contrôles accrus et technicisation ont ébranlé cet équilibre mais le soubassement éthique est encore là et les assocs ont gardé « une certaine distance avec les pouvoirs publics ».
Et aujourd’hui ?
- Changement radical : mise en question de l’institution associative et de son mode gestion.
- Mouvement de fond consacré par la loi 2002-2 : regroupements, droits des usagers et évaluation : l’activité est devenue première là où il y avait des institutions auxquelles on confiait une activité.
- Dans la loi HPST, « l’imaginaire concurrentiel » sous-tend la procédure d’appel d’offres qui met toutes les structures sur le même plan. Cela peut aussi apporter de la transparence dans un secteur qui en a manqué, mais la conception de l’action sociale en est bouleversée.
- Finie la logique ascendante où les assocs demandent à l’Etat un soutien sur les actions qu’elles ont définies : on est entré dans une logique descendante où la puissance publique « définit les besoins sociaux et sollicite des opérateurs » délégation de service public.
(Cf. l’UE qui « considère qu’une entreprise privée peut remplir des missions du service public ».) - Mais les assocs sont « capables de construire, à distance de l’Etat, du marché et des intérêts purement individualisés une demande et une offre collectives » c’est leur spécificité.
Quel est le risque à terme ?
- Une publicisation d’une partie de l’action sociale
(le non solvable :protection enfance…) - et privatisation d’autres pans (handicap..).
Mais les assocs continuent à être considérées comme des partenaires… concertation…
- C’est paradoxal et vrai.
- Que ce soit pour les projets ou pour l’évaluation on fait appel aux acteurs : ce sont des chantiers où les assocs doivent être créatives et agir de façon positive.
Beaucoup y voient une instrumentalisation…
- On peut faire de ces outils le pire et le meilleur mais une nouvelle culture professionnelle doit se mettre en place.
- Le modèle antérieur avait aussi ses défauts et « je suis assez confiant » : les nouvelles dimensions ont aussi « une substance positive » à condition de favoriser l’innovation et l’intelligence collective (évaluation par ex.)
- « La politique d’action sociale (…) a été fabriquée par les corporations professionnelles au sein des associations » et l’Etat n’impose toujours aucun modèle : le contexte est aussi une occasion pour les assocs de se revivifier.
Quel est l’enjeu ?
- En interne redonner de la substance, de la capacité à produire du sens collectif : aménager les CA, redonner une densité politique (question des membres et de la gouvernance).
- A l’externe elles pourraient investir l’échelon régional, produire un discours collectif.
« L’idée de base c’est que la structure associative est une des façons qu’a la société de se dire à elle-même ce qu’elle est »
Coordonnateur de
- Faire société : les associations de solidarité par temps de crise
- Ed. Dunod – 25 € (parution en février)
A consulter sur le site de l’Uniopss le Manifeste produit lors de son 30° congrès :
L’association de solidarité est un membre vivant de la société