Par P. Chemla, psychiatre et psychanalyste
Fondateur Centre de jour Antonin Artaud (Reims)
- La situation est-elle aussi grave que certains le disent ?
Même si la question des moyens n’explique pas tout, on a fermé 50 000 lits en 20 ans : il y a un appauvrissement profond et beaucoup de démotivation ; la suppression des infirmiers psy entraîne un grand turn-over dans les équipes.
En parallèle on n’a pas dévolu à l’extrahospitalier les moyens qui avaient été annoncés et enfin les pôles psychiatriques du plan Hôpital 2007 vont à l’encontre de l’idée de secteur qui vise à créer une équipe responsable d’un territoire.
- Les travailleurs sociaux reprochent souvent aux services psy de renvoyer des patients en situation de précarité …
"Ils ont tout à fait raison." .
Autrefois existaient des pavillons dits « de chroniques » où pourrissaient des malades.
Quand ces asiles ont fermé l’époque était à la prospérité. Ensuite avec le chômage est remonté et la précarité a touché des gens souffrant de troubles mentaux : vivre à la rue n’arrange rien.
20 ans plus tard situation dégradée qui nécessiterait une coopération étroite entre travailleurs sociaux et psychiatres. Pour faire sortir quelqu’un de la rue, il faut des hospitalisations assez longues associées à un véritable accompagnement social.
- Comment se fait-il que tant de personnes souffrant de pathologies mentales soient incarcérées ?
Si on comptabilise tous les troubles y compris les dépressifs, le chiffre n’est forcément très éloigné de celui de la population générale.
Mais il y a beaucoup de trouble psychotiques. Ces personnes doivent-elles rester en prison, si elles étaient délirantes au moment du délit commis ?
Pendant longtemps ces situations faisaient l’objet de « non-lieu » et puis on a pensé que reconnaître juridiquement ces crimes serait cathartique mais il ne faut pas confondre justice et thérapie.
« Et que l’on ne parle pas du soin en prison » : on ne peut imposer une démarche de soins à des patients qui ne le souhaitent pas. Finalement on les envoie dans des services psy hospitaliers où est prescrit un traitement qui leur permet de retourner en prison.
- Symptomatique d’une crise profonde de la psychiatrie et d’interrogation sur sa place….
La quasi-totalité des psychiatres universitaires penche vers les médicaments et les techniques comportementales pour gérer la maladie mentale.
Mais l’efficacité des traitements n’est pas si grande et ils doivent s’accompagner d’un travail de longue durée : sinon les gens rechutent et reviennent.
Je suis un tenant de la psychothérapie institutionnelle qui défend depuis plus de 40 ans une approche globale et collective.
Essayer de soigner autrement la maladie mentale grave en s’appuyant sur la psychanalyse, les méthodes de sociothérapie ou la création de clubs avec les patients. Permettre aux patients de mener une vie acceptable : logement, connaissances, soutien.
Cela ne s’obtient pas par la réduction des « symptômes les plus bruyants » mais avec beaucoup d’énergie, de supervision, un travail d’équipe. Par une « dialectique entre le soin et l’associatif »
Il faut des moyens mais surtout « un minimum de cohésion autour d’un projet »